L’Europe dit vouloir limiter le « côté obscur de l’IA »

Le projet de règlement sur l’intelligence artificielle présenté mercredi 21 avril par la Commission européenne fixe un cadre contraignant à l’utilisation des algorithmes. La reconnaissance faciale, l’évaluation ciblée des comportements ou la manipulation des personnes seront contrôlées. Une démarche inédite saluée par la presse internationale.
Des règles strictes pour encadrer l’intelligence artificielle (IA). La presse internationale salue la démarche inédite de l’Europe qui présentait mercredi 21 avril son plan de régulation de l’IA. Pour le New York Times, il s’agit d’une “politique unique en son genre”, qui “décrit la façon dont les entreprises et les gouvernements peuvent utiliser une technologie considérée comme une avancée scientifique majeure, mais truffée de risques éthiques”.
Pour le Financial Times, dans notre “monde hyperconnecté régi par les algorithmes”, la Commission européenne a réfléchi au moyen de “rendre l’intelligence artificielle ‘centrée sur l’humain’ plutôt que l’inverse”. Le Wall Street Journal souligne “l’un des efforts les plus larges à ce jour pour réglementer les applications” basées sur l’IA, notamment en limitant l’utilisation de la reconnaissance faciale par la police et en classant les systèmes intelligents selon le niveau de risques qu’ils font porter à la société.
Voitures autonomes, prêts, embauches…
Les plus risqués d’entre eux seront d’autant plus contrôlés et leurs dérives sanctionnées par des amendes qui pourraient aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires pour les entreprises incriminées. Parmi les infrastructures les plus critiques, on compte les programmes de sélection universitaire ou les demandes de prêts.
Le projet prévoit également de lutter contre les biais algorithmiques qui conduisent à la discrimination à l’embauche de minorités ethniques. Plus largement, il “fixe des limites” pour un large éventail de secteurs, “des voitures autonomes aux locations, en passant par les prêts bancaires, les inscriptions sélectives dans le scolaire et la notation des examens”, précise le New York Times.
La reconnaissance faciale sous surveillance
Les nouvelles règles présentées ont fait l’objet d’“âpres discussions” jusqu’à la dernière minute avant leur présentation mercredi, raconte le Financial Times. L’une des questions “épineuses” est celle de “savoir comment réglementer la reconnaissance faciale”, critiquée pour sa “capacité à porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes, y compris le droit à la vie privée”. Les régulateurs européens proposent de limiter son recours à “un ensemble très restreint de scénarios”, comme les enquêtes sur la disparition d’enfants.
Ces 108 pages sont une “tentative de réglementer une technologie émergente avant qu’elle ne devienne dominante”, souligne le quotidien américain. Elles auront des conséquences sur les “grandes entreprises de la technologie qui ont investi largement dans la recherche sur l’IA, comme Google, Amazon, Facebook et Microsoft, mais aussi de nombreuses autres entreprises” qui utilisent les algorithmes pour “développer des médicaments, souscrire des assurances ou des crédits” et sur des institutions qui recourent à l’IA en matière de justice ou d’allocations de ressources.
Pour résumer l’esprit du projet, Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission responsable du numérique a déclaré mercredi :
C En matière d’IA, la confiance n’est pas un luxe mais une nécessité absolue.
L’Europe pose de nouvelles pierres à son édifice de grand régulateur mondial de la
technologie, estime le Wall Street Journal qui rappelle que depuis quelques années, l’UE “cherche à jouer un rôle de premier plan dans la rédaction et l’application de nouvelles réglementations visant à apprivoiser les prétendus excès des grandes entreprises technologiques et à réduire les dangers potentiels des nouvelles technologies, dans des domaines allant de la concurrence numérique à la modération du contenu en ligne”.
Mais le Vieux Continent n’est plus si seul à “réclamer une surveillance plus stricte”, note le New York Times. Les gouvernements du monde entier, “chacun avec ses propres motivations politiques”, sont prêts à “affaiblir le pouvoir” des géants de la tech.
Il est dommage que l’Europe se focalise sur “le côté obscur” de l’IA, alors même qu’elle accuse un retard économique majeur dans ce secteur, commente la Frankfurter Allgemeine Zeitung. “Les investissements [pour l’IA] avoisinent aux États-Unis les
20 milliards par an. En Asie, c’est près de la moitié, en Europe, moins d’un cinquième.” Pour le quotidien allemand, “cette focalisation sur le risque peut et doit être regrettée ; surtout après la mauvaise expérience de l’UE concernant sa stratégie vaccinale, basée sur la sécurité absolue”.
Cependant, “cela ne change rien au diagnostic de la Commission selon lequel les nouvelles technologies n’ont de chance en Europe que si elles jouissent de la confiance de la population”. D’où ces intentions affichées d’interdire le pire des algorithmes, l’évaluation ciblée des comportements comme en Chine, la surveillance de masse ou la manipulation des personnes. “L’avantage de cette approche, juge le quotidien allemand, c’est que la grande majorité des applications ne sont pas affectées.”
C’est sur un autre point que le Financial Times apporte lui aussi un bémol : quelque novatrice que soit cette politique d’encadrement de l’IA, elle n’est pas pour tout de suite. Les nouvelles règles devront être discutées dans chaque État puis au Parlement européen avant de se concrétiser, soit “pas avant 2023 au mieux”. ––
COURRIER INTERNATIONAL – PARIS 22 04 2021