Electrochocs, la stratégie économique de la peur
La propagation des images de désastres dans les médias sert elle la cause du libéralisme sauvage ? C’est la théorie de Naomi Klein intellectuelle engagée dans l’antermondialisme explique dans son livre « la Stratégie du choc » les mécanismes avec lesquels les tenants d’une économie ultralibérale ont appris à tirer partie des désastres pour faire progresser leurs idées. Le capitalisme se nourrirait des désastres.
Selon elle, tous les moments de notre histoire récente qui ont fait l’avènement d’un « capitalisme du désastre. »
Elle l’affirme sans équivoque : « ce sont les attaques du 11 septembre 2001 qui m’ont poussée à écrire. » Le vase débordait. Elle a eu envie d’écrire sur ce changement rapide qui s’opérait au sein de la société américaine et sur la justification des nouvelles politiques guerrières du président états-unien. « Je ne vois guère de différence entre les doctrine de l’école de Chicago et la plateforme politique de George W. Bush en 2000 », a-t-elle soutenu.
Mais il y a plus, la diffusion d’image de désastre provoquerait des désordres psychiques sur l’opinion publique semblable des électrochocs. Le peuple serait alors plus malléable d’une part pour un renforcement de l’autorité (donc accepterait une restriction de liberté) et d’autre part cela faciliterait la propagation de l’économie ultralibérale.
Naomi Klein débute son ouvrage sur les « expérimentations » du docteur d’origine écossaise Ewen Cameron, qui ont servi à l’élaboration des livrets pour les méthodes de soustraction de renseignements par les agents de la CIA.
Dans les années 50, Ewen Cameron avait mis secrètement en place une technique dite de « confrontation psychique » du patient (généralement ayant des troubles mentaux), technique basée sur les électrochocs sur le corps, l’internement dans le noir, la soumission aux bruits et aux images entraînant la phobie générale de l’individu. Ewen Cameron croyait avec sa technique détruire les anciennes structures psychologiques du patient pour recréer un « homme nouveau », malléable mentalement grâce à son retour brutale à une infantilisation forcée. La journaliste canadienne révèle ainsi que les méthodes du Dr. Cameron furent réutilisées par la CIA qui les enseigna à son tour aux régimes de droite et d’extrême-droite comme celui d’Augusto Pinochet. Ces régimes avaient besoin de ces méthodes pour assurer leur maintien au pouvoir, ainsi que leur mainmise sur l »économie de leur pays, elle-même offerte au pillage par les multinationales, cela par le biais des privatisations et de la déréglementation voulues par l’école de Chicago.
Les années 40 ont été une décennie de découvertes et de développement en médecine et en psychiatrie. Les scientifiques ont développé une nouvelle technologie, pour soigner les adultes atteints de maladies mentales. En utilisant les électrochocs, les cerveaux des patients sont nettoyés, leur donnant l’opportunité d’un nouveau départ. C’est sur cette page blanche que les physiciens impriment une nouvelle et saine personnalité.
Nous créons les gens, en les choquant jusqu’à l’obéissance. Ceci est l’histoire d’une idée puissante. Dans les années 50 cela a attiré l’attention de la C.I.A. L’agence a commencé une série d’expériences et en a tiré un manuel secret sur comment réduire les prisonniers. La clé était d’utiliser le choc pour réduire des adultes à l’état mental d’enfants.
Le récit suivant est extrait des manuels d’interrogatoires de la C.I.A. de 1963 et 1983 : Une hypothèse fondamentale de ce manuel est que ces techniques sont par essence des méthodes pour réduire la personnalité. Il existe un intervalle, qui peut être très bref, de suspension de la vivacité, une espèce de choc psychologique ou paralysie. Les experts en interrogatoires reconnaissent cet effet lorsqu’il se produit, et ils savent qu’à ce moment là, la « source » est beaucoup plus ouverte à la suggestion, beaucoup plus disposée à obéir qu’elle ne l’était avant d’expérimenter le choc.
« Les changements que l’on voit quand l’électrochoc est administré sont tout à fait semblables à ceux causés par une blessure grave au cerveau, tel qu’un coup de marteau à la tête. Essentiellement, ce qu’il se passe est que l’individu est abasourdi, confus, désorienté et par conséquent ne peut pas se souvenir ou apprécier correctement les véritables problèmes. Les chocs se poursuivent alors durant quelques semaines (quelquefois plusieurs fois par jour) afin de rendre la procédure efficace, c’est à dire : endommager le cerveau suffisamment pour que l’individu ne se souvienne pas, au moins durant plusieurs mois, des problèmes qui l’ont bouleversé en premier lieu. Plus le cerveau est endommagé, plus ils devient possible que certains de ses souvenirs et de ses capacités mentales ne réapparaissent jamais plus. Ainsi la perte de la mémoire et la confusion mentale consécutives à la détérioration du cerveau ne sont pas des effets secondaires de l’électrochoc : ce sont les moyens mêmes par lesquels des psychiatres et des familles (peut-être involontairement) choisissent quelquefois de traiter des personnes inquiétantes et gênantes. Beaucoup d’entre nous remettraient en cause des moyens aussi douteux d’oblitérer, plutôt que de traiter, la détresse émotionnelle. »(Extrait de l’introduction de The History of Shock Treatment (L’histoire de l’électrochoc), édité par L. R. Frank, p. [xiii].) »
Le sujet doit être réveillé violemment, et être immédiatement aveuglé et menotté. Au moment de cette arrestation, la plupart des sujets ressentent un intense sentiment de choc, d’insécurité et de stress psychologique. L’idée est d’éviter que le sujet se relaxe et se récupère du choc. Friedman a compris que, de la même manière que les prisonniers sont radoucis par le choc de leur capture, les désastres massifs pouvaient servir à nous radoucir pour mener à bien sa croisade radicale de « libre marché ». Il conseilla aux politiciens d’imposer toutes les politiques douloureuses en même temps, juste après une crise, avant que les gens n’aient eu le temps de s’en remettre. Il appela cette méthode « le traitement économique du choc ». Je l’appellerai la « doctrine du choc ». Regardez à deux fois les événements emblématiques de notre époque, et vous verrez la logique qui opère derrière nombre de ceux-ci. Ceci est l’histoire secrète du « libre marché ». Il n’est pas né dans la liberté et la démocratie, il est né du choc.
D’une certaine manière, dans une situation de stress, les sociétés réagissent comme des individus en abandonnant provisoirement tout ou partie de leur esprit critique. Une période de crise est donc un moment rêvé pour faire passer un certain nombre de réformes impopulaires très rapidement.
Mais ces techniques ne fonctionnent pas uniquement sur les individus. Elles peuvent fonctionner sur des sociétés entières. Un traumatisme collectif, une guerre, un coup d’Etat, une catastrophe naturelle, une attaque terroriste, nous plonge à tous en état de choc. Résultat : comme les prisonniers dans la salle d’interrogatoire, nous aussi devenons comme des enfants, et nous sommes enclins à suivre les leaders qui clament qu’ils vont nous protéger.
L’opinion, anesthésiée par le choc, ne réagit pas comme elle le ferait en temps normal. Tout ce qu’elle voit, c’est un pouvoir politique ou économique qui agit rapidement “pour sortir de la crise“, ce qui est exactement ce qu’on lui demande. Sans se poser de questions sur la méthode …
« Ces quatre dernières années, j’ai mené des recherches sur ce domaine peu exploré de l’histoire économique : la manière dont les crises ont préparé le chemin de la révolution économique droitière tout autour du globe. Une crise frappe, la panique se répand et les idéologues colmatent la brèche en réorganisant rapidement les sociétés dans l’intérêt des entreprises les plus importantes. Je désigne cette manœuvre sous les termes de “capitalisme du désastre” ». dit Naomi Klein
L’opinion, anesthésiée par le choc, ne réagit pas comme elle le ferait en temps normal. Tout ce qu’elle voit, c’est un pouvoir politique etou économique qui agit rapidement « pour sortir de la crise », ce qui est exactement ce qu’on lui demande. Sans se poser de questions sur la méthode…
Elle décrit les mécanismes avec lesquels, les tenants d’une économie ultralibérale ont appris à tirer partie des désastres pour faire progresser leurs idées et parfois même les imposer à une population tétanisée par la catastrophe qui vient d’avoir lieu.
Selon elle, le 11-Septembre relève moins d’un complot que d’une stratégie a posteriori visant à surfer sur l’état de choc du peuple américain pour appliquer le programme des ultras au pouvoir à Washington. Stratégie qui sera reprise en 2004 lors du passage de Katrina à la Nouvelle-Orléans.
Ainsi dix-neuf mois après le tragique passage de l’ouragan Katrina (septembre 2005), alors que la plupart des pauvres de La Nouvelle-Orléans n’étaient pas encore rentrés, presque toutes les écoles publiques de la ville sinistrée avaient été remplacées par des écoles exploitées par le secteur privé. Et 3 000 fonctionnaires furent congédiés dans les mois qui suivirent les inondations…
Naomi Klein signale aussi un parallèle entre les deux 11 Septembre en rappelant que le 11 septembre 1973 Le gouvernement d’Union populaire du Chili qui gênait les intérêts de Washington est renversé dans des conditions dramatiques puis de jeunes économistes formés à l’école Milton Friedman y mettent en place l’économie libérale… Milton Friedman. Friedman croyait à une vision radicale de la société où le profit et le marché régiraient tous les aspects de la vie : de l’école à la santé, et même l’armée. Il appela à l’abolition de toutes les protections commerciales, à la dérégulation de tous les prix, et à l’élimination des services gouvernementaux. Ces idées ont toujours été extrêmement impopulaires, ce qui est compréhensible puisqu’elles ont provoqué des vagues de chômage, de montée des prix, et ont précarisé la vie de millions de personnes. Incapables de mettre en œuvre leurs réformes démocratiquement, Friedman et ses disciples ont recouru au « pouvoir du choc ».
En conclusion Naomi Klein termine ainsi « J’ai appris une autre chose de mon étude des états de choc. Le choc use. C’est par définition un état temporaire et la meilleure manière de ne pas se perdre pour résister au choc est de savoir ce qui vous arrive et pourquoi… »
reopen911.com,antipsychiatry.org, AgoraVox.fr, Naomi KLEIN, La stratégie du choc La montée d’un capitalisme du désastre