Réencoder les neurones grâce à la lumière
Notre cerveau, est bien plus qu’un simple disque dur. Il agrémente chaque souvenir (lieu, date…) de sentiments et de sensations appelées « valences émotionnelles ».
Peut-on intentionnellement modifier ces valences, par exemple pour embellir des souvenirs douloureux ? C’est ce que vient de réaliser une équipe de neurobiologistes du Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston.
Ils ont pour cela eu recours à une technique récente appelée optogénétique, qui permet de commander des neurones avec simplement de la lumière. En activant certains neurones chez la souris, ces chercheurs ont artificiellement pu leur faire revivre des souvenirs et même altérer les émotions associées.
Les souvenirs sont-ils physiquement constitués par des réseaux de neurones quelque part dans le cerveau ? La question est longtemps demeurée sans réponse. Dans les années 1930, le neurochirurgien canadien Wilder Penfield établit par hasard un premier lien entre la mémoire et son support biologique. Alors qu’il stimule électriquement le cerveau de patients épileptiques, et plus particulièrement une région appelée l’hippocampe, ces derniers se mettaient à revivre certains souvenirs.
Les chercheurs ont par la suite continué à explorer les liens entre hippocampe et mémoire, mais sans jamais parvenir à des démonstrations irréfutables.
DES SOUVENIRS ENCODÉS DANS CERTAINS NEURONES
En 2012, au MIT, l’équipe de Susumu Tonegawa tire profit d’une technique nouvellement apparue, l’optogénétique, qui permet d’« allumer » ou « éteindre » les neurones à volonté. Elle consiste à greffer des petits interrupteurs biologiques photosensibles à la surface des neurones qu’on désire étudier. Une canule de fibre optique implantée dans le cerveau permet ensuite de véhiculer la lumière d’un laser précisément jusqu’à ces cellules. Elle excite ainsi les interrupteurs, ce qui stimule le neurone, comme s’il s’activait normalement.
Les chercheurs ont alors utilisé cet outil sur des souris soumises à de fréquents chocs électriques, de désagréables stimulations qui les font fuir. En modifiant des neurones de leur hippocampe par optogénétique, puis en les éclairant simplement avec un laser, ils ont pu faire ressurgir chez ces rongeurs le souvenir des chocs électriques.
Les animaux se mettaient alors à fuir, quand bien même ils étaient en parfaite sécurité. Ces résultats confirmaient les conclusions de l’expérience de Penfield : les souvenirs sont bel et bien encodés dans certains neurones.
Les nouveaux travaux de ce groupe du MIT, décrits ce jeudi 28 août dans la revue Nature, cherchent à aller encore plus loin en modifiant les valences émotionnelles des souris, autrement dit en rendant agréable un souvenir effrayant, et vice-versa.
Les valences ne sont pas gravées dans le marbre, mais peuvent changer naturellement avec le temps ou l’environnement. C’est pourquoi le souvenir exquis d’un rendez-vous galant peut tourner au vinaigre après une séparation douloureuse.
RAYONS DE LUMIÈRES ET CELLULES NERVEUSES
Les neurobiologistes pensent que les informations contextuelles d’un souvenir sont codées dans l’hippocampe, tandis que les émotions le sont dans une structure distincte, l’amygdale. Roger Redondo, auteur principal de cette étude, a donc examiné de plus près les neurones de ces deux structures.
Son équipe et lui ont d’abord exposé des souris mâles à des émotions effrayantes (créées par des chocs électriques) ou au contraire agréables (en les mettant en présence de femelles), ceci dans un petit enclos.
Afin de pouvoir ensuite faire revivre exactement ces souvenirs aux rongeurs, les chercheurs ont modifié leurs neurones de l’amygdale ou de l’hippocampe par optogénétique. Grâce à cette modification, ces cellules nerveuses pouvaient être sollicitées à souhait à l’aide de rayons de lumière bleue, comme dans l’étude de 2012.