Pollution par les infrasons et armes basse fréquences
Les fréquences infrasoniques sont susceptibles d’entrer en résonance avec les fréquences propres du corps humain (les ondes cérébrales oscillent par exemple aux alentours de 7 Hz, le coeur à 72 Hz). Les infrasons sont présents partout dans la nature, à une intensité qui ne nous est pas dangereuse : les vagues de l’océan, les chutes d’eau, les volcans, les tremblements de terre, émettent ainsi des fréquences infrasoniques que les oreilles animales perçoivent d’ailleurs bien mieux que les nôtres (les éléphants entendraient ainsi à partir de 0,1 Hz, ce qui leur permet d’être passablement plus réactifs). L’industrialisation, avec son cortège de machines et de moteurs, a ensuite multiplié le nombre d’infrasons présents dans la vie quotidienne – et les nuisances liées à ce qu’on a ensuite nommé la « pollution sonore ».
La découverte du potentiel nocif des infrasons a été faite par hasard, par un acousticien français, le docteur Gavreau, qui officiait au Laboratoire d’électro-acoustique de Marseille. En 1967 (ou 1957 selon les sources), il observe que les chercheurs de son équipe sont sujets à des nausées et des maux de tête aussi violents qu’inexplicables. Après moultes recherches, ils s’avisent qu’un ventilateur est la cause de leurs problèmes : la machine en tournant émettait une fréquence de 7 Hz qui, amplifiée par le conduit d’aération où elle était encastrée, devenait humainement insupportable quoiqu’inaudible. Gavreau du coup abandonne ses recherches en cours pour se concentrer sur les infrasons, leurs effets sur le corps humain, et les armes infrasoniques qui pourraient en résulter. Il construit un gigantesque orgue à infrasons qui, une fois démarré, fait vibrer tout le bâtiment, et cause à l’équipe de très sérieux spasmes intestinaux et pulmonaires durant plusieurs jours : les fréquences de l’orgue entraient en résonance avec les fréquences des organes internes, mettant ceux qui y étaient longtemps exposés en danger de mor. Gavreau poursuivra ensuite ses recherches, en construisant sifflets et orgues de fréquences et d’intensité variables.
Une expérience similaire, quoique moins extrême et sans application dans le domaine de l’armement, est racontée par des chercheurs britanniques de l’Université de Coventry, Vic Tandy et Tony R. Lawrence, dans un papier intitulé « Le fantôme dans la machine ». Vic Tandy travaille, en 1998, dans un laboratoire réputé pour être « hanté ». Très sceptique, Tandy observe néanmoins plusieurs phénomènes étranges : un sentiment de dépression diffus qui atteint les personnes dans une pièce précise, y compris lui-même, des frissons, les cheveux qui se hérissent sur la nuque, l’impression de voir des formes grises se déplacer furtivement dans la pièce. Le fantôme était en réalité encore une fois un ventilateur qui émettait un infrason. La fréquence était cette fois de 19 Hz, et, suffisamment amplifiée par la gaine d’aération qui l’entourait, faisait notamment vibrer les globes oculaires (d’où les apparitions grises et autres troubles de la vision) et induisait des difficultés respiratoires et un sentiment d’oppression diffus.
Cette « angoisse » infrasonique a d’ailleurs été analysée par des chercheurs britanniques s’intéressant aux causes scientifiques des sentiments religieux : les infrasons (17 Hz, mais à un volume faible de 6 à 8 dB) produits par l’orgue n’étaient pas tout à fait étrangers à la chair de poule, à l’augmentation du rythme cardiaque et autres manifestations spirituelles qu’éprouvaient les fidèles. L’industrie cinématographique a également exploité les fréquences infrasoniques ou les très basses fréquences : dans la première demi-heure d’Irreversible, Gaspard Noé a ainsi ajouté dans la bande son une infra-basse de 28 Hz (proche de la fréquence d’un tremblement de terre), à peu près inaudible, mais très efficace pour transmettre un incompréhensible sentiment de peur. La police états-unienne, pour améliorer sa capacité de persuasion, a, elle, équipée ses véhicules de « rumblers » (littéralement « grondement »), des sirènes qui utilisent, notamment, des basses (de 182 à 400 Hz selon le site du constructeur, Federal Signal Corporation12), faisant vibrer les voitures et les personnes à proximité13.
Le DEFRA (un équivalent britannique du Ministère de l’environnement) a produit en 2003 un rapport sur les basses fréquences14, où il mentionne, parmi les effets sur le corps humain : le vertige, le déséquilibre, un sentiment de gêne extrême, la désorientation, l’incapacité d’agir, la nausée, les spasmes gastriques, la vibration de l’abdomen ou du cœur. Il indique également que des ouvriers exposés à des infrasons industriels de 5 à 10 Hz à un niveau de 100 à 135 dB pendant 15 minutes témoignaient de fatigue, d’apathie, de dépression, de pressions dans les oreilles, de perte de concentration, de confusion et de vibration des organes internes. Des effets sur le système cardiovasculaire et respiratoire étaient par ailleurs prouvés.
Les infrasons sont actuellement utilisés par les militaires comme outils de détection15, mais comme armes à proprement parler, ils ne sont pas forcément pratiques, pour plusieurs raisons : les ondes infrasoniques sont longues, peu directionnelles, demandent beaucoup d’énergie pour avoir une certaine intensité et elles traversent les matériaux (tout comme les basses de la chaîne de ton voisin) – pas terrible quand on n’a pas forcément beaucoup d’énergie à disposition, qu’on veut viser une cible précise et accessoirement épargner l’opérateur de l’arme. Comme armes anti-matériel, les infrasons peuvent être efficaces, puisqu’ils ont la capacité, à forte intensité, de détruire un bâtiment – en revanche, ils ne sont pour l’instant pas utilisés (du moins publiquement) comme armes anti-personnel (contre des personnes).
Cele ne fait pas faiblir l’enthousiasme de certains chercheurs, comme en atteste ce brevet, « Subliminal acoustic manipulation of nervous systems » (Manipulation subliminale acoustique des systèmes nerveux – « subliminale » devant s’entendre non pas comme « magique », on y reviendra plus tard, mais comme « inconsciente »), déposé en 2000 aux Etats-Unis – son auteur mentionne, au titre des qualités de son invention, que « la fréquence sonore de 2,5 Hz peut induire le ralentissement de certains processus cérébraux, une somnolence et une désorientation. », et de conclure : « elle peut être employée comme arme non létale dans le cadre de missions de maintien de l’ordre. ». En 1998, une société maintenant disparue, Synetics Corporation, avait par ailleurs reçu du gouvernement américain l’autorisation de développer17 un rayon infrasonique « pouvant blesser ou tuer », et notamment utilisable comme « moyen non létal de contrôle des foules et d’autodéfense policière ou personnelle ».