Propos sur le temps par Jiddu Krishnamurti
Savez-vous ce qu’est le temps ? Non pas le temps des montres, le temps chronologique, mais le temps psychologique ? C’est l’intervalle entre l’idée et l’action. Le mobile de l’idée est l’auto-protection : on a l’idée d’une sécurité. L’action est toujours dans l’immédiat ; elle n’a lieu ni dans le passé ni dans le futur ; mais agir est si dangereux et si incertain que l’on se conforme à l’idée dont on espère qu’elle apportera une sorte de sécurité.
Voyez donc cela en vous-même. Vous avez une idée du bien et du mal, ou une conception idéologique en ce qui vous concerne, vous et la société, et vous vous préparez à agir. Votre action sera autant que possible conforme à votre idée ; elle cherchera à s’en rapprocher et il en résultera un conflit. Ainsi se produisent l’idée, l’intervalle et l’action. Dans cet intervalle, constitué essentiellement par de la pensée, se trouve tout le champ du temps psychologique. Lorsque vous pensez à un bonheur futur, vous vous imaginez tel que vous serez, après avoir obtenu, avec du temps, un certain résultat. La pensée, au moyen de l’observation, du désir et de la continuité de ce désir appuyée par un appoint de pensée, dit : «Demain, je serai heureux ; demain j’aurai du succès ; demain le monde sera beau.» C’est ainsi qu’elle créé l’intervalle qui est le temps.
Demandons-nous dès lors s’il est possible de mettre un point final à ce temps. Est-il possible de vivre si complètement qu’il n’y ait pas de lendemains pour absorber la pensée ? Car le temps est douleur. Je veux dire qu’hier, ou il y a mille hiers, vous avez aimé, ou vous avez eu un compagnon qui est mort, et cette mémoire demeure. Vous pensez à ce plaisir et à cette douleur. Vous regardez en arrière, désirant, espérant, regrettant. Votre pensée ressasse indéfiniment les mêmes thèmes et, ce faisant, elle engendre la chose que l’on appelle douleur, et elle donne continuité au temps.
Tant qu’existe un intervalle de temps cultivé par la pensée, la douleur est présente, ainsi qu’une continuité de peur. Alors on en vient à se demander si cet intervalle peut disparaître. Si vous vous demandez : «Peut-il jamais disparaître ?», cette question émane déjà d’une idée, car vous pensez en termes de réussite, vous créez un intervalle et vous revoici dans le piège du temps.”
JIDDU KRISHNAMURTI “Se libérer du connu” (Stock)