La Décroissance contre la croissance verte
(Marianne2.fr – 4 / 12 / 2009) Plutôt une croissance verte que pas de croissance du tout ! Tel est le credo partagé par beaucoup de républicains et qui sera répété à Copenhague. Et si la décroissance, ce mot-obus, était davantage en phase avec les vraies valeurs humanistes ?
Dans quelques heures s’ouvrira le sommet de Copenhague. Comme la plupart des grands raouts mondiaux qui se multiplient ces derniers temps, Copenhague sera le lieu des annonces des gouvernements pour renseigner les peuples du monde sur les meilleurs sentiments qui les animent concernant le sauvetage de la planète.
Les pays développés se feront les champions de vertu écologique, les pays émergents se camoufleront en pays pauvres prêts à faire des efforts à condition que « la charge soit équitable ». Une fois les chiffres des objectifs de baisse des émissions de dioxyde de carbone balancés à l’opinion médiatique mondiale rassemblée au Danemark, tout le monde rentrera chez soi en jet (ben c’est vrai Copenhague-New York, en train, « ça le fait pas »).
Un mot ne risque guère d’être évoqué dans ces cénacles : celui de décroissance. La vague verte mondiale qui bat son plein depuis des années a bien pris soin de transformer le souci écologique en vecteur de croissance. En clair, au lieu de continuer à ouvrir des mines qui explosent les fioles de ceux qui y travaillent, nos amis chinois vont construire des éoliennes et des panneaux solaires. Il est pas beau le monde qu’on prépare à nos enfants ?
Pourtant, c’est bien la question du sens de la croissance que posent les crises actuelles, économiques comme écologiques. La tradition de Marianne ne nous prédisposait guère à cela. Plutôt la croissance verte que pas de croissance du tout, semble souhaiter le dossier – excellent – de Jean-Claude Jaillette dans le dernier numéro de Marianne. Le courant républicain est profondément pénétré de l’idée que seule la croissance peut apporter le progrès social. Ce qu’Henri Guaino – mais DSK ou même Benoît Hamon diraient pareil – traduit par : « L’inégalité est un moteur de la croissance mais seule la croissance peut rendre l’inégalité supportable. »
Paradoxe traité de « cynique » par Vincent Cheney dans son ouvrage « Le choc de la décroissance »(1). On a envie d’aller encore plus loin : si la croissance permet de supporter les inégalités, alors, vive la non-croissance qui permettra d’y mettre fin ou de les limiter !
Reconnaissons à Vincent Cheney d’être, sinon convaincant, du moins un redoutable rétheur : la lecture de son livre a de quoi faire douter même les amateurs de ballades en voiture comme l’auteur de ces lignes. Cheney a ceci de particulier qu’il prend les républicains comme à revers. D’abord parce qu’il les retrouve pour critiquer la possible dérive scientiste de l’écologie. : « ce mot pose problème lorsqu’il est employé comme perspective politique globalisante et qu’il prétend fonder une politique. » (2) Conclusion de l’auteur : en refusant de sortir de l’économisme, le courant écologique est en train de vendre son âme au néolibéralisme. Cohn-Bendit, Al Gore, Nicolas Hulot, Yann Artus-Bertrand en sont les symboles pipolisés les plus spectaculaires (et les plus ridicules), qui deviennent les VRP super-cool du greenwashing, destinés à repeindre la croissance en vert.
Autre angle d’attaque surprenant de Vincent Cheney qui séduira les Républicains et les humanistes : son vibrant plaidoyer contre le malthusianisme, auquel il s’en prend aussi bien dans son livre que dans le mensuel La Décroissance qu’il dirige. Tout en reconnaissant que la croissance démographique pose un problème au monde, il refuse d’y soumettre notre système de valeurs humanistes : « sommes-nous prêts à tout pour sauvegarder la vie sur terre ou serons-nous capables de mettre des préalables humanistes et démocratiques même à cet objectif ? » Nous pouvons cependant éviter, selon Cheney, ce dilemme philosophique, en considérant que le monde ne compte pas trop d’êtres humains mais trop d’automobilistes, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, contrairement aux apparences occidentales…
La décroissance façon Cheney ne consiste pas à proposer une théorie économique (ou plutôt anti-économique) de plus mais un « mot obus » destiné à provoquer une prise de conscience double :
1) Qui touche aux limites de la planète : réchauffement climatique, pollution, sans doute, mais aussi terres arables, etc.
2) Qui conteste la consommation et l’aliénation qu’elle provoque tout en contribuant à saturer l’univers d’objets polluants et de surconsommations d’énergies raréfiées. La génération de mai 68 a totalement occulté la critique des valeurs qu’a propulsé le mouvement. Imaginons un examen rationnel raisonnable de l’ensemble de la production contemporaine : combien d’objets en réalité parfaitement inutiles résisteraient-ils à l’examen ? Les milliards de bouteilles d’eau minérale sont-elles vraiment utiles ? Et que dire des plats cuisinés individuels, des divertissements télévisuels, des biscuits apéritifs, beaucoup de produits de beauté, les gadgets divers et variés, les sex-toys, les capsules de café, les tapis roulants électriques pour jogger chez soi, voire même les portables de la dernière génération ou les appareils de photo numériques ou encore Facebook ou les jeux video ? Aucun de ces objets n’est inutile en soi. Mais l’addition de l’ensemble aboutit à une vie médiocre et c’est en cela qu’ils sont aliénants.
Enfin, Vincent Cheney ne boude pas les institutions de la République. Il se présente régulièrement aux élections, cherche à convaincre ses concitoyens avec un programme archi-simple et progressif en dix points, qui tente de montrer comment on peut ont peut à la fois produire moins et mieux répartir, ce qui est loin d’être évident. Parmi les points forts de ce programme, le démantèlement de la grande distribution qui massacre les emplois comme les paysages, des taxes douanières pour favoriser la relocalisation, l’application des ordonnances de 1944 concernant la presse et le démantèlement du secteur de la publicité, l’interdiction d’avoir plus de deux logements, le salaire maximum, etc. La seule lecture de ces mesures fait un bien fou au lecteur et aide à réaliser à quel point le néolibéralisme nous a éloigné des véritables besoins de l’humanité.
La décroissance est-elle une vertu (et critiquable à ce titre) ? Il existe – Cheney lui-même le reconnaît – beaucoup d‘écologistes père-la-vertu et pisse-froid. Mais la voie sur laquelle il nous engage donne plutôt l’impression de vouloir substituer un hédonisme plus subtil et plus dense sur le plan des relations humaines, à celui, fébrile et frimeur qu’a voulu imposer une grande partie de la génération soixante-huitarde. Mais il y a mieux : ses propositions sont ouvertes. Le mot de progression figure à de nombreuses reprises dans son plan d’action. Le contraire de la rupture ! Ainsi du TGV que rejette Cheney au nom d’une perception très critique de la vitesse qui nous aurait autant, sinon plus, enlevé qu’elle nous aurait apporté. Cheney défend une mobilité plus réduite et une humanité mieux intégrée dans son territoire. On est à moitié convaincu. Mais on espère que « le commissaire Cheney », s’il réduira de 90% le trafic des aéroports, où pullulent les transporteurs d’actifs toxiques, nous laissera le TGV quelque temps encore. Comment, sinon, revenir dans son sud natal à Noël ?
(1) 2008, Seuil, p. 40-41.
(2) Idem, p.71.
Source : http://www.marianne2.fr/Comment-les-objecteurs-de-croissance-interpellent-la-Republique_a182946.html